Souvent confondu avec le fonds de commerce, le droit au bail fait pourtant plus que jamais la une de l’actualité.
Les commerces rencontrent de plus en plus de difficultés liées notamment aux mouvements de grèves, aux désertions des villes de province et surtout à l’explosion du commerce en ligne. Ces conséquences se reflètent directement sur le chiffre d’affaires des commerçants et donc sur la rentabilité du fonds de commerce. C’est la raison pour laquelle les commerçants tendent aujourd’hui à privilégier la cession du droit au bail pour se séparer d’un fonds en difficultés financières.
Maître Baptiste Robelin décrypte les différences entre le droit au bail et le fonds de commerce et vous livre ses conseils pour éviter tout risque d’abus.
SOMMAIRE :
Cession du droit au bail ou cession de fonds de commerce : quelles différences ?
Une distinction floue
Il est très important de ne pas confondre la vente d’un fonds de commerce et celle d’un droit au bail, chacun relevant d’un régime juridique très spécifique. Pourtant la distinction entre les deux est parfois mince. Le droit au bail pouvant être cédé seul ou en même temps que le fonds de commerce, la confusion est vite arrivée.
Le droit au bail permet à son acquéreur de s’installer dans les locaux de l’entreprise cédante moyennant une somme à verser à l’ancien locataire, en contrepartie de droits propres aux baux commerciaux, tel que le droit au renouvellement du bail. C’est un acte juridique à travers lequel le locataire cède son contrat de bail à un tiers repreneur, ce dernier poursuivant l’exécution du contrat à sa place.
Le fonds de commerce désigne quant à lui l’ensemble des éléments corporels et incorporels nécessaires à l’exercice de l’activité de l’entrepreneur. Mobilier, outillage, véhicules, enseigne, clientèle mais également droit au bail sont autant d’éléments qui constituent la valeur du fonds de commerce.
Mais alors comment les distinguer ? Qu’est-ce qui caractérise le droit au bail ?
La valorisation du bail
Pour un même local, le prix de vente du droit au bail et du fonds de commerce ne sera pas le même.
La valorisation du fonds de commerce s’appuie essentiellement sur deux méthodes :
- La méthode s’appuyant sur le barème communiqué chaque année par l'administration fiscale : la valeur du fonds sera évaluée sur la base du chiffre d’affaires HT réalisé par le vendeur
- La seconde méthode est basée sur l’EBE (Excédent Brut d’Exploitation), c’est à dire le chiffre d’affaires (généralement réalisé sur 3 années) déduction faite des achats, charges externes et frais du personnel. Le pourcentage peut également varier en fonction du secteur d’activité.
Le fonds de commerce, dont le droit au bail constitue l’une des composantes, est donc cédé à un prix supérieur par rapport au prix du droit au bail.
Le prix du droit au bail dépend de divers éléments. Trois éléments de valorisation vont être pris en compte :
- la durée du bail : est-ce que le terme du contrat de bail est proche ? Si oui, l’acquéreur risque de devoir négocier une révision de loyer lors du prochain renouvellement (au regard de la révision triennale).
- sa situation géographique et l’exercice d’activités différentes : est-il implanté dans une zone attractive et animée ? Proche des transports ? etc. Le local laisse-t-il la liberté d’exercer diverses activités ? Est ce que le contrat de bail autorise un changement d’activité ? Si oui, c’est la loi de l’offre et de la demande, beaucoup de commerçants seront intéressés pour l’acquérir. A l’inverse, si le bail impose l’exercice d’une seule activité (par exemple, la vente de fruits et légumes), le nombre de potentiels repreneurs sera moindre.
- Le montant du loyer : si le bail est surévalué, il sera bien évidemment proposé moins cher à la vente. A l’inverse, un bail sous-évalué pour être vendu plus cher. De même, si le montant du loyer est stable depuis plusieurs années, cela pourra être monnayé par le vendeur lors de la cession.
La valorisation du bail est une étape fondamentale. Il est fortement recommandé d’être accompagné d’un avocat afin de négocier au mieux les différents éléments et atteindre une valorisation convenable pour les deux parties.
Le pouvoir du bailleur
C’est l’une des principales distinctions entre une cession de fonds de commerce et celle du droit au bail.
Lorsque la cession du droit au bail intervient dans le cadre de la cession de fonds de commerce, le bailleur ne peut s’y opposer (art. L.145-16 du Code de commerce).
L’acquéreur devra toutefois exercer une activité similaire afin que la clientèle, élément du fonds transféré, ne soit pas totalement différente de celle du cédant.
Cela implique notamment que les termes conclus initialement entre le détenteur du fonds et le bailleur lors de la signature du bail ne subissent pas de gros changements avec le nouvel acquéreur.
Si le bailleur ne peut s’opposer à la cession du droit au bail dans le cadre de la cession de fonds de commerce, il peut toutefois la restreindre par le biais de certaines clauses telles que :
- la clause d’agrément qui interdit au locataire de céder le droit au bail sans l’autorisation du bailleur
- les clauses imposant certaines formalités : par exemple, l’intervention du bailleur à l’acte et la constatation de ce dernier par acte authentique.
- la clause qui interdit de céder le droit au bail séparément du fonds de commerce.
Toutefois, si le droit au bail est cédé seul, le bailleur a la possibilité de s’opposer à la vente. Il peut refuser la cession isolée du droit au bail. Si la vente est conclue sans l’accord du bailleur, elle pourra faire l’objet d’une résiliation.
Objet de la vente et les formalités
Dans le cadre d’une cession de fonds de commerce, le droit porte sur l’universalité du fonds et l’ensemble des éléments corporels et incorporels qui le compose.
A l’inverse, dans le cadre d’une cession de droit au bail, la seule chose monnayée est la faculté pour le cédant de se faire remplacer sur le bail. Les autres éléments du fonds ne sont pas inclus.
En outre, la vente d’un fonds de commerce et celle du droit au bail sont donc soumises à des formalités plus ou moins denses.
L’acte de cession d’un fonds de commerce doit d’abord être enregistré auprès du bureau de l’enregistrement du service des impôts, de même que la vente quinze jours après sa conclusion. L’acte de vente fait ensuite l’objet d’un dépôt au Centre de Formalités des Entreprises et d’une publicité auprès du BODACC. Un séquestre du prix de cession est également pratiqué durant la période d’opposition laissée aux créanciers du fonds.
La cession de droit au bail peut faire l’objet de clauses limitatives évoquées ci-dessus. Cette cession doit bien entendu être portée à la connaissance du propriétaire (sauf si ce dernier a participé à l’acte et que la cession a été effectuée par acte authentique). La cession du droit au bail est ensuite enregistrée dans le délai d’un mois au bureau de la recette impôts compétent.
Cession de fonds de commerce ou droit au bail : attention aux abus
Malgré ces éléments de distinction, la cession de fonds de commerce et la cession de droit au bail peut s’avérer complexe.
D’autant plus que la cession du droit au bail s’accompagne parfois d’éléments du fonds de commerce, tel que du matériel, mais ne constitue pas pour autant une cession de fonds.
La jurisprudence a notamment retenu que la cession du bail accompagnée de certains éléments corporels du fonds constituait bien une cession de droit au bail.
La cession de droit au bail a également été retenue quand bien même la clientèle, élément du fonds, faisait partie de la cession, lorsque l’activité de l’acquéreur est totalement différente de celle du cédant.
Cette fine frontière entre ces deux types de ventes peut avoir des conséquences, et notamment la tentation de la part du vendeur de déguiser la cession.
En effet, si le vendeur entretient des relations difficiles avec son bailleur, il sera tenté de préférer la cession de fonds de commerce à celle du seul droit au bail, évitant ainsi le droit d’opposition du bailleur.
A l’inverse, et nous l’avons soulevé, les formalités liées à la cession de fonds de commerce sont plus denses que celles liées à la cession du droit au bail. De plus, dans le cadre d’une cession de fonds de commerce, les contrats de travail sont transférés à l’acquéreur. Or, ce dernier n’est pas toujours intéressé par ces contrats et n’aura pas toujours anticipé cette masse salariale. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir l’acquéreur tenter de mettre fin aux contrats de travail en cours afin de se séparer de certains salariés. Il s’expose alors au risque de sanction pour licenciement abusif, sans cause réelle et sérieuse.
Attention donc à ne pas tenter de déguiser une cession de droit au bail en cession de fonds de commerce ou inversement.
Vente du droit au bail : les éléments à anticiper dans la négociation
Votre choix est fait, vous envisagez de céder votre droit au bail seul. Il est alors important d’anticiper certains points.
Les garanties financières
Comme tout vendeur, il est important que vous soyez serein sur la situation du repreneur. Dispose-t-il de bonnes garanties ? Exerce t-il son activité depuis longtemps ou s’agit-il d’une jeune entreprise qui se lance ? Dans ce dernier cas, vous ne disposerez pas de bilan permettant d’évaluer les performances du repreneur.
Au regard de ces critères, le bailleur aura tendance à demander une caution bancaire plus importante ou vous demander en tant que cédant de lui garantir le paiement des loyers pendant une durée maximale de 3 ans (selon la loi Pinel).
Les conditions de renouvellement
Spécificité du bail commercial, ce dernier ne prend pas fin automatiquement à l’arrivée de son terme, il peut se poursuivre par tacite reconduction. C’est une protection conférée au locataire afin de lui assurer stabilité et conservation de sa clientèle.
Toutefois, le bail commercial est alors reconduit pour une durée indéterminée, ce qui laisse dès lors la possibilité pour les parties de mettre ensuite fin au bail à tout moment. Le locataire perd alors la propriété de son droit au bail ce qui contraint fortement la vente future de son fonds de commerce.
Il est donc très important de bien anticiper le droit de renouvellement du bail.
La répartition des charges
Bailleur et locataire sont soumis aux paiements de charges, notamment les charges locatives relatives aux dépenses de l’immeuble. Est-ce que les charges sont clairement réparties entre le bailleur et le locataire ?
Est-ce que les règles de cette répartition sont antérieures à la loi Pinel du 18 juin 2014 ? Cette loi a en effet marqué un véritable tournant sur la réglementation des droits et obligations des parties.
De plus, si le bail impose une répartition inégale ou méconnaît les dispositions d’ordre public, c’est un élément qui devra entrer en compte dans les négociations de la vente.
Les règles de révision du loyer
Le prix du loyer du bail est librement fixé par les parties lors de la conclusion du contrat. Il n’est soumis à aucune règle de calcul.
En revanche, les révisions de prix pouvant intervenir par la suite, sont quant à elles soumises à un cadre strict permettant au bailleur d’augmenter les revenus de son loyer tout en préservant la situation du locataire et éviter tout risque d’abus.
Deux types de révisions existent :
- la révision triennale soumise au régime légal : elle permet au bailleur ou au preneur de réviser le prix du loyer passé un délai de 3 ans suivant la précédente fixation du prix.
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la révision conventionnelle soumise aux clauses prévues par les parties : les parties peuvent prévoir une clause d’indexation (ou clause d’échelle mobile) faisant évoluer le prix selon un indice fixé par les parties, ou encore une clause de recette soumettant le prix du loyer aux résultats d’exploitation du commerce.
Le rôle de l’avocat dans ce mécanisme triangulaire
Le domaine des baux commerciaux peut s’avérer complexe en raison des confusions entre le droit au bail et le fonds de commerce et avec elles les abus qui peuvent en découler.
De plus, les ventes de droit au bail ou de fonds de commerce imposent un mécanisme triangulaire pouvant complexifier les relations. Il est important de bien gérer les négociations entre le bailleur, le cédant et le cessionnaire.
Et ce d’autant plus que la diversité d’acteurs ne s’arrête pas là. Ces procédures imposent d’échanger avec des banquiers, des agents immobiliers, des courtiers, des fournisseurs, etc.
L’avocat a un rôle primordial pour orchestrer et centraliser ces échanges.
Il est aussi important de ne pas négliger l’aspect psychologique que peut recouvrir ce type de procédure. Et ce d’autant plus lorsque la cession du droit au bail s’accompagne d’une cession du fonds de commerce. Le commerçant abandonne le fruit de son travail, un commerce qu’il aura mis des années à lancer, à développer et à faire fructifier.
L’acquéreur achète quant à lui un commerce qui fonctionne selon des process déjà bien définis. Le défi est de maintenir l’activité tout en y impulsant une nouvelle dynamique et en y inscrivant son empreinte.