Maître Baptiste Robelin, avocat spécialisé dans le domaine des baux commerciaux, décrypte le sujet pour vous.
SOMMAIRE :
- Bail commercial : dans quelles conditions une indemnité d’éviction est-elle due ?
- Bail commercial : comment déterminer le montant de l’indemnité d’éviction ?
- Bail commercial : un droit de repentir pour le bailleur
- Bail commercial : quand le locataire libère-t-il le local ?
- Bail commercial : les conséquences fiscales du versement de l’indemnité d’éviction
Bail commercial : dans quelles conditions une indemnité d’éviction est-elle due ?
A l'approche de l’expiration du bail commercial, le locataire du local dans lequel est exploité le fonds de commerce a la possibilité d’exercer son droit au renouvellement du bail commercial dans un délai de 6 mois avant la fin du contrat de bail.
Le statut des baux commerciaux permet au locataire commercial de bénéficier de mesures plus protectrices et notamment du droit au renouvellement de son bail commercial. Toutefois, il ne s’agit pas d’une « obligation de renouvellement » pour le bailleur. Celui-ci est donc libre de décider de renouveler ou non le bail. S’il refuse de le renouveler, le locataire bénéficie alors d’un autre dispositif protecteur : il a droit à une indemnité d’éviction.Là encore, il s’agit d’un droit et non d’une obligation. Le bailleur peut échapper à son versement. Cela peut arriver dans 4 situations :
- 1ère situation : lors du refus de renouvellement du bail commercial, le bailleur peut indiquer qu’il refuse également de verser une indemnité d’éviction, en faisant état d’un motif grave et légitime à l’encontre de son locataire. Cela suppose donc une faute imputable à ce dernier : elle doit être expressément visée dans le courrier de refus de renouvellement du propriétaire et le bailleur ne doit pas avoir autorisé ou ratifié le comportement estimé fautif. A titre d’exemple, il peut s’agir d’un défaut d’immatriculation de l’activité au Registre du commerce et des sociétés.
- 2ème situation : le bailleur peut également refuser de verser une indemnité d’éviction à son locataire lorsque l’immeuble dans lequel se trouve le local commercial est déclaré insalubre par l'autorité administrative ou s’il présente un danger pour les occupants.
- 3ème situation : le bailleur peut aussi refuser de verser une indemnité d’éviction à son locataire en expliquant qu’en réalité, le bail conclu ne relève pas du statut des baux commerciaux. Pour cela, il faut que le locataire ne remplisse pas les conditions légales, nécessaires à l’application du statut des baux commerciaux. Juridiquement, le bailleur va faire une « dénégation du statut des baux commerciaux ».
- 4ème situation : le bailleur peut refuser le renouvellement sans indemnité (ou avec une indemnité forfaitaire) pour des motifs tirés de sa propre situation, lorsqu’il exerce un « droit de reprise » (pour construire ou reconstruire l’immeuble).
Notez que si le bailleur ne propose pas d’indemnité à son locataire, celui-ci à 2 ans à compter de la date du congé pour saisir le juge afin d’obtenir son versement. D’ailleurs, le congé délivré au locataire doit l’informer de ce délai. Si cette mention fait défaut, cela constitue un vice de forme qui peut occasionner la nullité du congé, s’il cause un préjudice au locataire.
Bail commercial : comment déterminer le montant de l’indemnité d’éviction ?
Le montant de l’indemnité d’éviction peut être fixé par le bailleur et le locataire, le plus souvent à l’aide de leurs avocats. Lorsqu’aucun accord n’est trouvé, il va être fixé par un expert dans le cadre d’une procédure judiciaire.
Cette indemnité d’éviction doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement du bail commercial.
Selon les termes de la loi, elle comprend « notamment la valeur marchande du fonds de commerce (déterminée suivant les usages de la profession), augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le bailleur prouve que le préjudice de son locataire est moindre ».
Ainsi, si le refus de renouvellement du bail occasionne une perte définitive du fonds de commerce du locataire, l’indemnité d'éviction doit correspondre à la valeur marchande du fonds (en pratique, les experts judiciaires prennent souvent en compte les résultats d’exploitation de l’entreprise et notamment le chiffre d'affaires des 3 dernières années).
Toutefois, lorsque le refus de renouvellement du bail commercial n’entraîne que transfert dans de nouveaux locaux, l'indemnité correspond à la valeur du droit au bail.
Sachez que la perte ou le transfert du fonds de commerce est appréciée selon que le locataire perd ou non sa clientèle.
L’indemnité d’éviction comprend donc, selon la perte définitive ou non du fonds de commerce, soit une indemnité de « remplacement », soit une indemnité de « transfert ». Mais, elle comprend aussi des indemnités dites « accessoires », variables selon les situations, à savoir :
- frais de déménagement ;
- frais de réinstallation, pour mettre en place dans le nouveau local des aménagements semblables à ceux de l'ancien fonds ;
- frais et droits de mutation liés à l'achat du nouveau fonds ;
- éventuelles indemnités de licenciement dues aux salariés, si l'éviction entraîne leur licenciement ;
- indemnité pour perte de logement, quand le bail comporte des locaux d'habitation ;
- frais liés au paiement d'indemnités de résiliation de contrats ;
- préjudice lié à la perte d'activités accessoires (par exemple, vente de tabac dans un débit de boissons) ;
- indemnité de trouble commercial destinée à compenser la gêne due à l'éviction :
- frais de double loyer (pendant la période de réinstallation, le preneur peut devoir payer à la fois le loyer de l'ancien local et le nouveau).
Sont en revanche exclus du calcul de l'indemnité d'éviction :
- le matériel, le mobilier et les droits incorporels car ils sont et restent la propriété du locataire évincé ;
- l'acquisition d'un nouveau pas-de-porte car cet élément est déjà pris en compte dans le cadre de l'indemnité principale ;
- les aménagements et travaux réalisés dans le local dont le bail n'est pas renouvelé ;
- les impôts dus au titre des plus-values ;
- le préjudice moral.
Le montant de l’indemnité d’éviction correspond au préjudice subi par le locataire au jour le plus proche de la date de l’éviction, ce qui signifie que son montant devra être déterminé :
- soit au jour du départ effectif du locataire ;
- soit à la date de la décision du juge, si le locataire se trouve encore dans les lieux.
Bail commercial : un droit de repentir pour le bailleur
Une fois que le montant de l'indemnité d'éviction est fixé, le bailleur dispose d'un délai de 15 jours pour mettre en œuvre son « droit de repentir ». C'est une période durant laquelle le bailleur peut revenir sur sa décision et proposer le renouvellement du bail à son locataire, ce qui le dispense de verser l'indemnité d'éviction.
Au-delà de ce délai de quinze jours, le bailleur devra payer l’indemnité d’éviction au locataire sous peine de sanctions judiciaires.
Bail commercial : quand le locataire libère-t-il le local ?
Tant que l'indemnité ne lui a pas été versée, le locataire ne peut pas être contraint de quitter les lieux : il a, en effet, un droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Il ne verse alors pas un « loyer », mais une « indemnité d’occupation », dont le montant doit être calculé à l’aide d’un avocat, ou à défaut d’accord, par le juge.
Ce droit disparaît avec le versement de l’indemnité d’éviction : il a alors 3 mois pour libérer le local.
Si le droit au maintien dans les lieux n’est pas respecté par le bailleur, le locataire a alors droit à des indemnités de réparation pour la perte de ce droit. Notez que cette indemnité est distincte de l’indemnité d’éviction.
Bail commercial : les conséquences fiscales du versement de l’indemnité d’éviction
Le versement de l’indemnité d’éviction va avoir des conséquences fiscales tant pour le bailleur que pour le locataire.
Pour le bailleur, le régime fiscal applicable dépendra des motifs qui justifient le versement de l’indemnité (reprise du local en vue de le vendre, location commerciale à des conditions plus avantageuses, etc.).Notez que l’indemnité d’éviction pourra être déductible à condition de répondre à l’intérêt de l’entreprise du bailleur. Pour pouvoir bénéficier de cette déduction, il est conseillé de prendre l’attache d’un avocat dès la rédaction du bail commercial afin d’anticiper les conséquences d’un éventuel paiement d’indemnité d’éviction.
En ce qui concerne le locataire, les règles fiscales vont différer selon qu'il est soumis à l'impôt sur les sociétés (IS) ou à l'impôt sur le revenu (IR) et, dans ce dernier cas, selon la nature du préjudice couvert par l'indemnité.Pour le locataire à l’IS, l'indemnité d'éviction est comprise dans les résultats soumis au taux normal, quelle que soit la nature du préjudice compensé par l'indemnité.
Pour le locataire à l’IR, l’indemnité d’éviction est une plus-value. Toutefois, la fraction de l’indemnité qui couvre les frais de déménagement, de réinstallation, le manque à gagner, etc., constitue une recette d’exploitation ordinaire.
Enfin, sachez que l'indemnité d'éviction entraîne la perception d'un droit fixe d'enregistrement de 125 €.
Parce que l’indemnité d’éviction est due à l’occasion d’un refus de renouvellement d’un bail commercial par le bailleur, parce qu’il est possible de refuser de la verser, parce que son montant va être discuté, parce son versement engendre des questions fiscales, etc., il est recommandé de faire appel aux services d’un avocat le plus tôt possible (l’idéal est avant même la conclusion du bail commercial) afin de réduire les risques de tensions, les risques juridiques et les risques fiscaux.