Les notions d’usage et de destination en matière de bail commercial recouvrent deux concepts distincts. L’usage concerne directement les locaux pour lesquels le bail commercial est consenti. Couramment, les demandes de changements d’usage portent sur un local d’habitation que l’on souhaite transformer en locaux professionnels ou commerciaux. A l’inverse, la destination implique directement le bail commercial, en ce qu’elle précise les définit de l’activité pour laquelle le bail sera consenti.
Le changement de l’usage d’un local ou de la destination d’un bail font l’objet de procédures différentes et si les deux notions sont liées pour des raisons évidentes – un bail commercial ne pourra pas être conclu sur un local à usage d’habitation – leur modification a des impacts à bien différencier.
SOMMAIRE :
Bail commercial, Le changement d'usage
La notion d'usage
A titre liminaire, arrêtons-nous sur la notion d’usage. Celle-ci est définie par le code de la construction et de l’habitation (CCH). La réglementation en la matière pose deux catégories : l’habitation et les autres locaux qui ne sont pas à usage d’habitation.
L’article L631-7 du CCH définit l’usage d’habitation de la façon suivante :
« Constituent des locaux destinés à l'habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial »
Etant précisé, qu’« un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés. »
En revanche, le silence est gardé sur les autres catégories d’usage.
Le changement d'usage
Toute personne désireuse d’effectuer un changement d’usage se référera à cette règle qui est « applicable aux communes de plus de 200 000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne ».
Dans le cadre de cet article, nous nous bornerons au changement d’usage dans la commune de Paris.
En effet, face à la recrudescence d’appartements parisiens, résidences principales, utilisés à des fins de location Airbnb, la mairie de Paris est venue encadrer le changement d’usage des locaux d’habitation. Cette réglementation, nous dit-on, répond à la nécessité de ne pas aggraver l’insuffisance de logements.
Les autorisations délivrées par la mairie, conformément à la règle précitée, sont de trois types :
- L’autorisation 1 : autorisation d’usage mixte, délivrée à une personne exerçant une activité professionnelle ou commerciale dans sa résidence principale.
Cette autorisation concerne les personnes souhaitant exercer une activité professionnelle au sein même de leur résidence principale sans louer un local supplémentaire à cette fin.
- L’autorisation 2 : autorisation de changement d’usage à titre personnel, délivrée à une personne pour la durée de son activité dans le local.
Cette autorisation concerne les personnes souhaitant, à caractère personnel (donc sans possibilité de la céder) et temporaire, changer d’usage. L’autorisation prend fin à la cessation d’activité par le bénéficiaire et n’est subordonnée à aucune compensation.
- L’autorisation 3 : autorisation de changement d’usage à caractère réel, qui permet de transformer définitivement un local d’habitation en local professionnel ou commercial.
Cette autorisation concerne les demandeurs qui, disposant d’un autre bien que leur résidence principale, souhaitent changement définitivement l’usage de leur bien immobilier afin de le mettre en location pour de longues durées. Ce changement d’usage est définitif et nécessite en guise de compensation l’apport d’un bien similaire.
La compensation constitue l’opération inverse à savoir, la transformation de locaux dont l’usage n’est pas d’habitation en logements. Ce principe de compensation vient pallier la baisse de logements qui pourraient découler d’un changement d’usage massif des logements.
Elle s’effectue de deux façons :
- Le demandeur désireux de changer définitivement l’usage d’un bien propose un autre bien lui appartenant, qui n’est pas à usage d’habitation.
- Le demandeur achète un titre de compensation directement auprès d’un tiers, lui-même propriétaire de locaux affectés à un usage autre que d’habitation.
Le changement de destination quant à lui répond à d’autres objectifs et impératifs. La négociation portera sur le bail commercial, à la condition que l’usage le permette, en vis-à-vis avec le bailleur des locaux.
Le changement de destination : la notion de despécialisation
La notion de destination
Le code civil impose au preneur d’un bail « [d]'user de la chose louée raisonnablement, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d'après les circonstances, à défaut de convention ».
En d’autres termes, il n’est pas possible d’exploiter les locaux donnés à bail pour une destination autre que celle prévue au bail à moins d’obtenir l’accord préalable du bailleur.
Lors de la conclusion du bail, les parties déterminent librement la destination à la condition :
- qu’elle soit permise par le règlement de copropriété ; ce dont s’assure le bailleur préalablement ;
- qu’elle soit permise par l’usage des locaux donnés à bail ; tous les accords ou conventions conclus en violation de cet article sont nuls de plein droit.
Tout changement d’usage qui serait rendu nécessaire pour la conclusion d’un bail commercial devra faire l’objet d’une autorisation préalable en mairie (cf. infra).
Les parties et leur conseil doivent s’appliquer à rédiger scrupuleusement cette clause de destination car elle fera l’objet d’une interprétation par les juges du fond en cas de désaccord sur sa portée. Ainsi, elles peuvent envisager une rédaction très succincte comme la seule activité de « laverie », plus large et englober différentes activités portant sur un même secteur comme « laverie – atelier de retouches », voire être « tous commerces ».
Etant précisé qu’un bail prévoyant une destination multiple des lieux, il conviendra de se reporter à la rédaction de la clause afin de savoir si le preneur est tenu d’exercer l’ensemble des activités stipulées ou seulement une partie. Si la clause exprime expressément si le locataire est ou non tenu d’exercer toutes les activités, ce dernier devra s’y conformer. A l’inverse, si la clause ne le précise pas, les juridictions considèrent qu’il n’incombe pas au preneur des lieux de tout exercer.
Les incidences seront nombreuses, notamment en termes de cession du bail dans la mesure où ce type de contrat « tous commerces » se revendra plus aisément et à un prix plus important qu’un bail restreint dans son activité.
Le non-respect de la clause de destination représente une infraction au bail exposant le preneur à diverses sanctions parmi lesquelles :
- la résiliation du bail (judiciaire ou de plein droit par acquisition de la clause résolutoire) ;
- le refus de renouvellement du bail sans versement d’une indemnité d’éviction ;
- l’indemnisation du bailleur dans le cas d’un préjudice ;
- l’indemnisation des tiers à qui ce non-respect des clauses du bail aurait causé un préjudice.
Le changement de destination : la despécialisation
Bailleur et preneur peuvent convenir d’une modification de l’activité prévue au bail. Il est question de déspécialisation ; celle-ci permettant :
- D’adjoindre à l’activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires (déspécialisation partielle).
- De transformer le fonds de commerce directement en modifiant totalement l’activité initiale (déspécialisation plénière).
- En cas de départ à la retraite, de permettre au preneur sur le départ de céder plus facilement son droit au bail en modifiant l’activité pour qu’elle soit conforme à ce que projette d’exercer son repreneur.
La déspécialisation partielle
Notion :
Le régime de la déspécialisation partielle est régi le code de commerce et sont protégés par l’ordre public français (par renvoi de l’article L145-15). En d'autres termes, sont réputés non-écrites les clauses ayant pour but d’interdire aux locataires de procéder à une déspécialisation.
L’article L145-47 autorise le locataire à « djoindre à l'activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires. »
En l’absence de définition légale de la notion d’« activité connexe ou complémentaire», les tribunaux ont jugé que sont connexes à une activité celles qui ont un rapport étroit avec elle, et complémentaires, qui sont nécessaires à un meilleur exercice de l'activité principale. A cet effet, il doit y avoir une similitude ou une dépendance des activités dans leur exercice.
Cela exclut donc que le locataire sollicite l’adjonction d’une activité connexe pour ainsi exercer uniquement cette nouvelle activité au détriment de l’ancienne. Il ne doit pas y avoir de substitution d’activité ; dans le cas contraire, il s’agirait d’un changement complet.
Procédure :
L’opération de déspécialisation partielle implique pour le preneur d’informer le propriétaire par acte extrajudiciaire (par voie d’huissier) ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en indiquant les activités qu’il envisage d’exercer.
A compter de la réception de cette demande, le propriétaire est mis en demeure de faire connaître dans un délai de deux mois, à peine de déchéance, s’il conteste le caractère connexe ou complémentaire.
Le bailleur n’est pas contraint de répondre de façon formelle ; il peut donc s’agir d’un acte non-équivoque tel qu’une lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
En cas de refus, il ne sera pas tenu de motiver sa décision.
Dans le cas où une contestation surviendrait, le locataire peut saisir le tribunal de grande instance compétent, qui se prononcera sur la connexité ou la complémentarité de l’activité à adjoindre en fonction notamment de l’évolution des usages commerciaux.
Le locataire incertain de la nature connexe ou complémentaire de l’activité qu’il souhaite adjoindre peut demander parallèlement une déspécialisation plénière au bailleur. Dans tous les cas, il devra attendre la réponse du bailleur pour exercer l’activité sollicitée, au risque d’enfreindre les stipulations avec les conséquences évoquées ci-avant.
Effets :
En cas d’acceptation de la déspécialisation partielle, plusieurs effets sont à noter sur les relations entre bailleur et preneur :
- d’une part, en cas de clause résolutoire visant la cessation d’activité, celle-ci sera sans effet pendant les six mois suivant l’accord trouvé entre les parties ;
- d’autre part, l’augmentation du loyer que pourrait solliciter le bailleur ne sera pas immédiate mais à compter de la première révision triennale suivant la notification au propriétaire si la valeur locative a été modifiée du fait de cette adjonction (article L145-47, alinéa 3, du code de commerce) ;
- enfin, elle constitue une cause de déplafonnement lors du renouvellement (c’est-à-dire une fixation du loyer renouvelé à la valeur locative écartant le plafonnement de la variation indiciaire.
La déspécialisation plénière
Notion :
Le code de commerce dispose que « le locataire peut, sur sa demande, être autorisé à exercer dans les lieux loués une ou plusieurs activités différentes de celles prévues au bail, eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l'organisation rationnelle de la distribution, lorsque ces activités sont compatibles avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble ou de l'ensemble immobilier. »
De la même façon que pour le régime de la déspécialisation partielle, celui de la déspécialisation plénière est protégé par l’ordre public français.
La condition économique est prépondérante en matière de déspécialisation plénière :
- La conjoncture économique renvoie à l’idée de crise économique du secteur auquel appartient le locataire. Ce dernier peut en rapporter la preuve par plusieurs moyens tels ses résultats comptables, la rentabilité de ses affaires.
- L’organisation rationnelle de la distribution implique que l’appareil local de distribution ne correspond plus aux besoins de la clientèle du locataire et que la nouvelle activité pallierait cela.
Enfin, le critère cumulatif relatif à l’immeuble dans lequel sont exploités les locaux loués implique que l’exercice de l’activité envisagée respecte le règlement de copropriété le cas échéant, ou n’entraîne pas des nuisances ou perturbations dans l’immeuble en question ou dans l’ensemble immobilier.
Procédure :
Le code de commerce prévoit que le locataire doit faire la demande au bailleur en précisant, à peine de nullité, l’indication des activités dont l’exercice est envisagé. Cette demande peut se faire par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception et dénoncée, en la même forme, aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce.
Le bailleur doit, dans le mois de cette demande, en aviser, dans la même forme, ceux de ses locataires envers lesquels il se serait obligé à ne pas louer en vue de l'exercice d'activités similaires à celles visées dans la demande (il s’agit des locataires avec lesquels le bailleur aurait conclu une clause de non-concurrence). Ceux-ci doivent, à peine de forclusion, faire connaître leur attitude dans le mois de cette notification.
En tout état de cause, il est laissé trois mois au bailleur, pour notifier son refus, son acceptation ou encore les conditions auxquelles il subordonne son accord. A défaut, il est réputé avoir acquiescé à la demande.
En cas de refus, le code de commerce impose au bailleur de motiver son refus en invoquant des motifs graves et légitimes qui reste à l’appréciation des juges.
Le tribunal de grande instance compétent peut autoriser la transformation totale ou partielle malgré le refus du bailleur, si ce refus n'est point justifié par un motif grave et légitime.
Les mêmes sanctions que pour la déspécialisation partielle sont encourues en cas d’exercice des activités sans l’accord préalable du bailleur.
Effets :
Le code de commerce qui prévoit la suspension des effets d’une clause résolutoire visant la cessation d’activité s’applique également en pareil cas.
Le bailleur peut se prévaloir d’un changement d’activité pour solliciter du preneur le paiement d’une indemnité égale au préjudice dont il s’estime victime. De même, il peut demander une modification du loyer au jour de la transformation de l’activité sans avoir à attendre la première révision triennale suivant la déspécialisation.
Enfin, cette déspécialisation pourra également être prise en compte lors du renouvellement.