Alors qu’elle suscite actuellement de vrais débats au sein de l’opinion publique, la proposition de loi LREM sur « la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués » a été adoptée en première lecture le 28 mars dernier à l’Assemblée nationale. 46 voix pour, 20 contre ; tel a été le résultat du vote qui a suivi un long débat entre les parlementaires. Les députés de la majorité et de la droite se sont exprimés en faveur de la proposition de loi tandis que ceux de la gauche ont voté contre.
Nous revenons ici sur la substance de la loi ainsi que sur ses points suscitant de débats au sein de l’opinion publique.
SOMMAIRE :
Origine et importance de la loi ?
Le 14 avril 2016, le Parlement européen adoptait la directive sur le « secret d'affaires ». Il s’agit d’une directive ayant pour but d’assurer une protection des entreprises contre le vol ou la divulgation de leurs secrets industriels à des concurrents ou au grand public.
Les États membres ayant jusqu’au 9 juin pour transposer ladite directive dans leur droit interne – en vue de son application –, les députés de la majorité ont déposé le 19 février dernier, une proposition de loi basé sur le texte de la directive.
Selon cette proposition, il est interdit d’obtenir, d’utiliser ou de divulguer une information qui :
• n’est pas généralement connue ou aisément accessible aux personnes extérieures à une entreprise ;
• revêt une valeur commerciale parce que secrète et ;
• fait l’objet de « mesures de protection raisonnable » de la part de son détenteur légitime.
Toute personne qui porterait atteinte à une information réunissant ces trois critères verra sa responsabilité s’engager. Il est précisé que pour la fixation les dommages et intérêts, le juge prendra en compte « le préjudice économique, le préjudice moral et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte ».
Cette proposition de loi suscite de nombreuses inquiétudes auprès du public, notamment chez les journalistes et les lanceurs d’alertes. Pour eux, elle risque de porter atteinte à la liberté de la presse et à la protection des lanceurs d’alertes qui avait été mise en place récemment.
La définition de « secret des affaires » en cause
Notons d’entrée que la loi prévoit bien des cas où le secret des affaires ne serait pas protégé.
Il s’agit entre autres de cas où l’information est obtenue, utilisée ou divulguée :
- « pour exercer le droit à la liberté d’expression et de communication, y compris le respect de la liberté de la presse » ;
- « pour révéler de bonne foi une faute, un acte répréhensible ou une activité illégale dans le but de protéger l’intérêt public général » ou encore,
- « pour la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national ».
Mais malgré ces exceptions, les craintes persistent au sein des professionnels des médias en raison de la définition énoncée pour « secret des affaires ». Dans une tribune publiée le 21 mars dernier dans Le Monde, un collectif de sociétés de journalistes, d’associations et de syndicats ont en effet dénoncé une définition « si vaste que n'importe quelle information interne à une entreprise peut désormais être classée dans cette catégorie ». Pour eux, les dérogations énoncées ci-dessus sont « trop faibles » pour garantir la protection des syndicalistes, lanceurs d'alerte ou journalistes.
Cependant, lors des débats pour l’adoption de la proposition de loi, Nicole Belloubet, la ministre de la justice, s’est voulue rassurante. « Le secret des affaires ne pourra être opposé aux lanceurs d'alertes et aux journalistes »,avait-t-elle déclaré dans l’hémicycle. Selon elle, le texte ne sous-tendait « strictement aucune restriction de liberté publique ».
Notons que les critiques envers la directive européenne sur « le secret d’affaires » ne datent pas d’aujourd’hui. A l’époque de son adoption par le Parlement européen, de nombreuses associations et ONG avaient déjà exprimé leurs craintes quant aux risques de restriction de libertés.
Auto-censure ?
Notons aussi que cette loi donne une possibilité supplémentaire aux entreprises de faire des procès à la presse, aux lanceurs d’alertes et à toute personne ou media qui lui déplait.
Or bien souvent, supporter un procès et les frais qui vont avec suffit à dissuader les médias ou les lanceurs d’alerte qui n’ont pas les moyens financiers d’en découdre juridiquement. Il peut alors en résulter à terme une inquiétante auto-censure.